Un pas de plus vers l’officialisation des diplômes au rabais : l’abîme appelle l’abîme

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image d'illustration/crédit photo, adiac

Dans un entretien avec la presse, Patrice TSOUMOU, président de la Dynamique pour la Promotion de l’Education de Qualité Pour Tous & Développement a déclaré que l’éducation nationale est en train de s’engluer de plus en plus dans un profond marasme avec l’officialisation, en cette année, des diplômes au rabais. Parlant ainsi, il a tourné ses regards vers les assises des Etats généraux de l’éducation nationale prévues en septembre prochain pour attendre voir les partenaires de la communauté éducative agir en toute responsabilité à l’effet de prescrire un protocole thérapeutique qui délivrera le Congo de cette endémie. Suivons-le !

Les examens d’Etat qui ont commencé ici et là annoncent inexorablement la fin de l’année scolaire. Pourriez-vous avoir une vue prospective sur ce que seront les résultats ?

Patrice TSOUMOU : A suivre le discours officiel, l’on sait que l’année scolaire avait débuté par un optimisme à la Pangloss. En effet, après bien de visites à la carte de quelques établissements, les ministres en charge des enseignements avaient déclaré, unanimement, que « la rentrée a été effective ». En un mot ou en mille, cela voulait dire, que « tout était pour le mieux » et par conséquent, il n’y avait rien à signaler. Et le summum de cet optimisme a été atteint en fin d’année avec les éloges faits au sujet de l’organisation réussie des examens et de tout l’arsenal inventé pour aller en guerre contre la fraude aux examens.

A l’observation, cet optimisme n’est qu’un filet pour les candides, une fausse consolation. Il est vrai que l’importance de l’éducation a certainement conduit le gouvernement à confier la charge de l’éducation nationale à trois ministères ; cependant, l’importance numérique du nombre de « médecins » au chevet de l’éducation nationale n’a nullement permis l’amélioration de son état de santé. Au contraire, tous les observateurs sont unanimes pour dire que notre système éducatif est en train de s’engluer dans un profond marasme qui l’enfonce, année après année, dans les profondeurs abyssales. Ne fermons pas les yeux pour ne pas voir. Notre école est bien malade.

Au nombre de ces pathologies qui cancérisent le fonctionnement du système éducatif, commençons par nommer le déficit très criard en personnel enseignant. On parle d’un déficit de 25 000 enseignants. Et quand j’apprends que l’on consent à combler ce gap par le recrutement de 1500 ou 2000 enseignants par an, je dis tout simplement que l’on veut étancher la soif de 7 jours par une simple gorgée d’eau.

Aujourd’hui, plus de la moitié du corps enseignant est composée de ce que j’appelle les ‘’enseignants de la rue’’. N’ayant aucune compétence professionnelle avérée, ils sont recrutés et mis en service par les parents pour essayer de combler toute déficience en la matière. Des écoles publiques entières sont tenues par des ‘’mercenaires sans foi ni loi’’ qui ne savent qu’une chose : faire passer en masse les élèves en classe supérieure de crainte d’être fichés comme ‘’mauvais enseignants’’ et se voir retirer la confiance des parents. Et quand la précarité du pouvoir d’achat des parents ne permet pas le recrutement des enseignants au prorata du déficit, on opte pour le pis-aller : les classes multigrades. C’est-à-dire, plusieurs classes en une et tenues par un seul enseignant. Abyssusabyssuminvocat disent les Latins (l’abîme appelle l’abîme). Aujourd’hui, on vient d’officialiser l’option des diplômes au rabais.

Vous parlez d’officialisation des diplômes au rabais ?

Patrice TSOUMOU : Je crois que vous avez suivi comme moi le reportage de Christian Mouambela de Radio Congo. Au lycée d’Impfondo en cette année, les candidats au bac technique n’ont pas eu droit à certaines matières faute d’enseignants. Quand ils s’en sont plaints au jury, il leur a été répondu : « Ne vous en faites pas ; faites seulement l’essentiel». Qui peut nous révéler la longueur, la largeur et la profondeur de cette formule lapidaire : « faites seulement l’essentiel » ? Sans contredit, on fermera les yeux pour faire admettre nos impétrants mais une chose est sûre : ce diplôme n’aura de valeur qu’au Congo, sinon, dans la tête seule de l’impétrant.

L’autre pathologie qui étrangle notre système éducatif c’est la pléthore d’élèves dans les salles de classe. Actuellement, il y a une vidéo  mise en circulation dans les réseaux sociaux qui fait état d’une salle de classe de 398 élèves à l’école de Kibina. Je crois que même un ange venu droit du ciel ne peut enseigner une telle salle de classe avec succès.

Pour répondre à votre question, disons que l’obligation de résultats doit être proportionnelle à l’obligation des moyens. C’est une lapalissade. Une question : combien d’élèves ont suivi, en vérité, leurs cours dans les ‘’conditions normales de température et de pression’’ ? Parlant ainsi, vous avez compris qu’il n’y aura pas de miracles dans les résultats aux examens. Trop de maux minent notre école !

Autant de pathologies, par laquelle commencer ?

Patrice TSOUMOU : Je vais, pour vous répondre, passer par une anecdote. Quand j’avais mon petit vélo d’étudiant, lorsqu’il me fallait remplacer la chaîne, le réparateur m’imposait aussi – je dis bien ‘’m’imposait’’ –  l’achat de la roue libre et de l’engrenage. Il me faisait comprendre que j’étais devant un système, le système de transmission et par conséquent, rien ne pouvait être réparé de façon isolée.

Comme nous parlons de système éducatif, rien ici ne peut être résolu de façon isolée. S’il nous faut construire des infrastructures scolaires, il nous faut en amont tenir compte du ratio d’élèves qu’il faut dans chaque classe et définir le nombre de salles qu’il faut. Ensuite, il nous faut envoyer dans chaque classe un enseignant qui, sur le plan professionnel, a suivi une formation qui le qualifie au rang d’enseignant. Je l’ai toujours dit, « A chaque art, ses artistes » ! Et si cela est fait, nous veillerons à ce que chaque élève ait à s’asseoir confortablement sur un table-banc. Malheureusement, j’apprends que juste par saute d’humeur, il y a des tables-bancs tous neufs en pièces détachées qui sont entrain de moisir dans certains établissements scolaires depuis plus de sept ans. Des tables-bancs acquis à prix d’or.  C’est cela aussi le mal congolais : les sautes d’humeur dans la gestion de la chose publique. Il n’est pas à exclure que présentement, il y ait le levain de l’acception de personnes qui a fait lever la pâte du mépris chez certains qui en nous écoutant se disent : « Celui-là aussi sort d’où ? Qu’est-ce qu’il veut apprendre aux gens» ?

Revenons à nos moutons pour dire qu’il n’y aura pas d’esquive qui tienne. Les maux qui minent notre système éducatif doivent être résolus au même moment. Autrement dit, notre système éducatif ne donnera naissance qu’aux monstres qui ont pour noms : Bébés noirs, Kulunas, Américains, Arabes…

Un protocole thérapeutique qui exigera de gros moyens financiers alors que la conjoncture économique ne nous est pas encore favorable…

Patrice TSOUMOU : Je ne crois pas qu’il serait mieux que nous options pour le suicide au nom de la lâcheté. La Dynamique pour la promotion de l’éducation de qualité pour tous est d’avis que la convergence citoyenne à elle seule sera la solution pour mettre à mort ce minotaure qui met à mal notre système éducatif depuis des lustres, disqualifiant notre pays pour le moindre rendez-vous avec l’émergence. Ceci expliquant cela, voilà pourquoi, nous avions fait un plaidoyer auprès du Chef de l’Etat, c’était le 7 avril dernier, pour lui demander d’initier un Plan Marshall pour l’école congolaise par l’ouverture d’un Fonds spécial qui sera entièrement acquis pour la promotion de l’éducation de qualité pour tous. Je crois que de la sorte, nous pourrons de façon pratique et pérenne avoir des moyens pour faire face à la moindre montagne qui se dressera devant notre système éducatif. Le mal est profond, disons-le sans gants et croyons que les Etats généraux de l’éducation nationale, de la formation et de la recherche se pencheront sur la question en toute responsabilité pour prescrire un protocole thérapeutique qui délivrera notre système éducatif de cette endémie. Voici l’heure de la chirurgie et non des baumes, fussent-ils analgésiants à souhait.